• Platanes - page 01


     

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    Présentation - Mise en bouche

    JE  SAIS, J'Y ETAIS... JE SAIS, J'Y ETAIS... JE  SAIS, J'Y ETAIS... JE SAIS...


    J'ai vécu presque tout ça, mais je ne savais pas qu'un jour j'en parlerais... On ne peut pas vivre que de souvenirs, mais cela fait du bien d'en parler... Osons, parlons, racontons, écrivons, transmettons, l'histoire de notre beau pays l'Algérie, l'unique, celui que nous avons créé...

     

    Ce récit commence un 2 octobre 1952, veille de mes 14 ans. Ce pourrait être un jeudi de repos comme les autres. Pourtant ce jour va se révéler bien plus attrayant qu'un jeudi normal. Je pars pour une grande traversée de notre capitale. Une promenade initiatique en quelque sorte à la découverte de ma ville et de ceux qui la peuplent.
    Depuis hier je suis au Cours Complémentaire 2ème année (qui correspond à notre 5ème d'aujourd'hui) de la Place Lelièvre. Je fréquente notre "Université" de Bab-El-Oued, depuis 1951 et je vais y rester jusqu'en 1955. En tout quatre années de classes secondaires, de la 6ème à la 3ème pendant lesquelles jamais je ne me soucierais de savoir qui est le personnage qui donne son nom à mon école. Ce Capitaine Lelièvre(1), qu'une redoute à Mazagran (à 3 km de Mostaganem), avait rendu célèbre.
    Notre Ecole est située 12 rue Jean Jaurès, face à l’Église Saint-Joseph, au cœur de Bab-El-Oued... Notre "Bablouette"... Le centre du monde!

    Hilaire Lelièvre


    Avant la "Place Lelièvre" où j'ai suivi Monsieur René Massé, notre Directeur, muté de C. Douls. (Voir ma rubrique "Nos écoles") il y eut bien sûr les écoles maternelles et primaires "Saint-Joseph", 23 rue du Cardinal Verdier(2),"Lavigerie"(3), 8 rue de Bône de 1947 à 1949, puis l'école de la rue Camille Douls(4) de 1949 à 1951.
    J'effectuerais en tout, neuf années d'études, entrecoupées de nombreuses absences, dues en partie à de nombreuses maladies enfantines (rien ne me fut épargné, rougeole, oreillons, angines à répétitions, sans parler de quelques accidents de vélo…). 

    René Massé


     

    Mais au fait qui suis-je?
    Je suis né le 3 Octobre 1938 de parents nés à Alger en 1914 et 1917. Mes arrières-grands parents et grands-parents paternels étaient eux-aussi natifs d'Alger, bien que venus d'horizons différents, Paris, Espagne, quant à mes grands-parents maternels eux arrivent de Nîmes et de Corse au milieu et à la fin du 19° siècle. Vrai mélange qui donne un vrai Pieds-Noirs pure souche, comme on dit.

    Je vais passer 22 ans à Bab-El-Oued au numéro 60 de la rue Cardinal Verdier  et 2 ans à Hydra durant mon service militaire, tout en continuant à fréquenter B.E.O.  et ce jusqu'à la fin.
    Je perdrais mon grand-père en 1957. Ma grand-mère s'éteindra en 1983, seulement quatre jours après le décès de mon père. Ma mère me quittera en 2004. Je n'ai jamais connu mes grands-parents paternels. J'ai deux enfants, et deux petits-enfants.



    Deux mots sur ma ville natale Souk-Ahras (La protégée des lions et anciennement Thagaste).
    Elle a vu naître Saint-Augustin, évêque d'Hippone. Sa mère Sainte Monique est une berbère chrétienne, son père Patrice quant à lui est romain. 
    Le lion est le symbole de la ville, et moi j'y suis né, par accident, mais mon "retour" sur Alger se fera quelques jours après.
    Tel Mathusalem (celui qui a congédié la mort), j'aurais aimé vivre 969 ans et vous raconter toute l'Histoire de notre cher pays. Malheureusement je ne suis qu'un simple mortel qui regrette amérement aujourd'hui d'avoir laisser passer les occasions de questionner ceux, proches ou moins proches, qui avaient vécu une partie de cette Histoire. Celle du "Centenaire"* par exemple car en 1930, mon grand-père avait 38 ans, ma grand-mère 40, mes parents eux n'avaient que 16 et 13 ans, mon oncle Adolphe* 10 et sans doute auraient-ils été heureux de partager avec moi les souvenirs de cette époque.

    Que d'autres événements ont-ils vécus et qui si longtemps ne m'ont pas intéressé ?
    *A noter que ce "Centenaire" sera l'objet bientôt d'une autre grande rubrique.
    *Je me dois de préciser que mon oncle Adolphe est en cette année 2013 toujours parmi nous et aura bientôt 93 ans !


     Avant d'entrer dans le vif du sujet, c'est à dire notre environnement à Alger, j'aimerais vous présenter en images, ma famille (une bonne fois pour toute!)

    Cliquez sur l'image pour ouvrir le diaporama. Pour l'affichage plein écran cliquez sur le petit rectangle (avec les 4 flèches) en bas à droite

      http://www.flickr.com/photos/alain-ch-28/sets/72157633401266299/

     

    J'habite donc 60 rue du Cardinal Verdier à Bab-El-Oued, un grand et bel immeuble bourgeois, ancien hôtel des années 30, construit pour le centenaire. Cinq étages avec au sommet une terrasse sur laquelle se trouve un logement qui fut occupé quelques temps, ainsi qu'une buanderie. De cette terrasse nous avons une vue magnifique sur Notre-Dame-d'Afrique, sur le Sidi-Ben-Nour, sur notre belle bleue, sur le remarquable cimetière de Saint-Eugène, et surtout sur le fascinant quartier de Bab-El-Oued.
    A chaque lessive, après avoir demandé la clé à Madame Djezaïri notre concierge, ce sont d'immenses parties de "marrade" (rigolade). On courre et on se cache derrière les draps qui séchent au chaud soleil. Des voisins font parfois sécher des piments rouges et verts, des tomates... Des matelassiers viennent remettre en état nos literies fatiguées...

    L'immeuble se situe à l'intersection de la rue Larrey et du boulevard de Flandre (voir plan plus-haut). Entre mon immeuble et le début de la rue Larrey, un petit passage débutant par une quinzaine de marches, conduit au chemin de Notre-Dame-d'Afrique. A ma connaissance, il ne porte pas de nom. Mais comment font ceux qui y habitent?
    Le 60 étant le dernier numéro de ma rue, peut-être avaient-ils le numéro 62? Je viens de découvrir (le 4 mars 2013) sur Facebook qu'il existait un 62 bis dans ce passage, Nadir y habitait. Peut-être que Riri, Didinne, José, Pierre, Julien ou Sauveur pourront me le préciser. J'ai découvert que le numéro 64 était attribué au grand immeuble de la rue Larrey, où habitaient José Corsaletti, Sauveur Bettini, Ghezzi entre autres.  

    Notre "Université" comme nous l'appelons a comme Directeur Monsieur Massé, si singulier avec sa pipe et son œil de verre (au fait lequel?). Son bureau se situe à gauche en rentrant. La concierge, elle, a sa loge à droite. (Voir ma rubrique «Écoles»)
    Nos professeurs se nomment Messieurs: Ascione, Benzaken, Moll (certificat), Stora, Benaïm, Davin, Fagard (Sciences), Bensimon (Français), Blot (Arabe), Roméo (Sports, avec ses grosses lunettes et ses pantalons de golf, ou bien en survêt bleu et caban marine), Germain (Mathématiques), Peutot (Histoire-Géographie), Dauchy, Lievin, Mademoiselle Gavaronne (Musique), Madame Esposito (Dessin), Truchi (Anglais). 

      

     

    Au Rez-de-Chaussée, les classes Primaires. A l'étage les classes Secondaires. Face à l’École côté gauche, rue de Châteaudun, les Classes "B" de la 6ème à l'angle de la rue, puis 5ème, 4ème et enfin la 3ème au fond de la cour près des escaliers sous lesquels se trouvent les toilettes. Du côté droit, rue du Cardinal Verdier, la même distribution, mais cette fois pour les "A", les meilleurs. Inutile de préciser que je me trouve du côté gauche pour la seule fois de ma vie. Au fronton de l'école trône une horloge .
    Chaque groupe de copains a l'habitude de se retrouver chaque matin au même endroit. Pour nous (les A et les B) ce rassemblement, se fait face à l’Église Saint-Joseph, à l'angle du Boulodrome. Souvenez-vous les copains... Jean-Pierre Lluch, Freddy Marinozo, René Coll, Khodja-Farouk Bouziane et tant d'autres...Là, sur le petit parapet longeant le boulodrome nous déposions nos cartables pour pouvoir discuter. Eh oui, pour parler nous avions besoin de nos mains à Bab-El-Oued.

    A droite, face à l'église, notre lieu de rassemblement 


    Les récréations se déroulent pour les plus petits dans la Cour, pour les Moyens à l'extérieur sur la Place. Les plus grands à partir de la 6ème restent sur la Coursive (me semble-t-il). Nos bureaux sont en bois avec des encriers blancs en porcelaine. Encre violette et plumes "Sergent Major" pour une écriture en pleins et déliés. Il est difficile de ne pas se tâcher les vêtements et surtout les doigts.

    Les pointes "Bic", viendront plus tard. Les "bons points et les images"* distribués par le maître viennent récompenser nos résultats. Nos cartables sont remplis de nos plumiers bois ou trousses en cuir de rigueur, règles en bois, colle blanche à la bonne odeur d'amande. Les livres sont recouvert d'un papier bleu qui devient pisseux à la longue. Les  cahiers sont recouverts de protèges-cahiers, le plus souvent publicitaires. 

     

    Nous avons nos ardoises et nos bâtons de craie blanche prêts pour les questions de calcul mental. La réponse, il faut l' apporter jusqu'au bureau du prof en courant.
    Je n'en porte pas heureusement, mais certains gamins autour de moi sont vêtus de blouses grises, pas vraiment seyantes. Certains profs en portent aussi. Les bérets et les pantalons golfs, ces horreurs, j'y ai droit. En revanche, j'ai la chance d'échapper à ces horribles manchettes grises sensées protéger nos pulls d'une usure prématurée.

    *En avez-vous gardés? Il me serait agréable d'en présenter quelques-uns.

    Au  mur, les «Grandes Cartes murales» de la France, avec les «Départements, les Fleuves et Montagnes» qu'il faut connaître par cœur et redessiner pendant les contrôles de géographie; des cartes de Vidal et Lablache (?) et les Préfectures... Arras, chef-lieu du Pas-de-Calais... La Seine prend sa source...  "Nos ancêtres les Gaulois", un grand classique de notre instruction!


    Carte murale Algérie - 190cm x 75cm (collection personnelle)

     


    Carte murale Afrique du Nord - 120cm x 100cm - Librairie Hatier (collection personnelle)

    Nous avons aussi appris grâce à l'Instruction Civique le respect de nos anciens, cela a disparu malheureusement. J'ai retrouvé quelques décennies plus tard, nos fameux bureaux, très prisés en décoration et j'en ai vendu beaucoup lorsque j'ai pratiqué le métier de «Brocanteur-Antiquaire».

     

     

    Que de souvenirs, dans notre «Université», que de mancaoras(5), bien souvent pour aller «se taper le bain en bas la mer», du côté des «Deux Chameaux, de l'Eden, du Petit Bassin, de l'Hippocampe, du Pigeonnier, où du Rocher Charlemagne», faire des bombes et se taper des bonnes «panchas» (6), mais ceci est une autre histoire.
    Encore un souvenir : à mon époque et ce jusqu'en... je n'en sais rien, nous serons séparés de nos petites cailles! A chacun son école!
    Je croise dans la cour de l'école un certain Raymond Tortora(7), qui va devenir un grand journaliste. Je vais faire vraiment sa connaissance quelques temps plus tard, du côté du «Bar de l'Olympique», devant une anisette bien sûr! 

         
        Raymond Tortora (photo ina)                                    Robert Castel    


    Quand à Robert Moyal, lui aussi ancien de la Place Lelièvre, plus connu sous le nom de Robert Castel(8), je ferais mes classes avec lui au "Centre d’Instruction du Train", le C.I.T. 160 à Beni-Messous (classe 58-2B, d'Octobre 1958 à Janvier 1961, pas loin de 28 mois). Robert, plus âgé que moi, était sursitaire.Je le retrouverais à Paris en 1964, avec sa compagne Lucette Sahuquet, alors que je travaillais dans un grand magasin Parisien Place de la Nation.

     

        
    Entrée du Centre d'Instruction du Train à Beni-Messous Insigne du 27e Train Entrée et esplanade de la caserne Gueydon du 27e Train

     

    Je retrouverais également, au cours de mon instruction militaire, Pierre Rosazza (salut mon petit Pierre), condisciple de Lelièvre et je ferais la connaissance de Jean-Claude Boriello de la rue Taine (comme me l’a soufflé Pierre, dernièrement). Je retrouverais également un certain Hubert Ferrer. Quand j'arrivais, lui partais.


    Insigne du CIT 160

     


    Pierre, Alain et Jean-Claude

    Comme vous pouvez le constater sur la photo, nous avons tous les trois (Pierre, Jean-Claude et moi) des crânes d’œufs ce qui mérite une petite explication. Pour cela permettez-moi de quitter un instant mes 14 ans et Bab-El Oued pour nous retrouver quelques années plus tard à la caserne de Beni-Messous. Mes deux comparses et moi avions fait le mur (en l’occurrence des barbelés) et malheureusement pour nous, ce jour là les anciens combattants avaient manifesté dans les rues d’Alger. La caserne fut consignée, et tous les fusils distribués à chacun au magasin d'armes... "Comme par hasard" il ne restait plus que nos trois fusils au râtelier!! 
    Nous avons faillis être portés déserteurs. Comme de bons copains avaient répondus "présent" à notre place, l'appel fut refait, et rapidement, le brigadier de semaine s'aperçut que les 3 manquants n'étaient autres que les trois Pieds-Noirs de la compagnie. Les gendarmes furent envoyés à notre recherche et se présentèrent au domicile de Jean Claude. Son frère nous ramena d'urgence à Beni-Messous où on nous attendait de pieds fermes. Convoqués le lendemain matin au service de semaine, nous eûmes droit à la boule à zéro et furent condamnés à quinze jours de tôle... que nous n'effectuerons pas !
    Si nous n'avons pas fait notre punition, c'est grâce au brigadier de semaine qui était oranais et qui fit jouer la solidarité Pieds-Noirs. Cerise sur le gâteau, taulards, nous fûmes exemptés de garde et de patrouille! 
    Nous l'avions échappé belle. Dormir sous notre toile de tente chauffée par un poêle à bois, c'était tout de même mieux que les bas-flans de la prison.
    Il faisait si froid en ce mois de décembre 1958. (Je me souviens que se laver en plein air, tôt le matin, s'apparentait à un véritable un  calvaire!).

    Tant que j'y suis et avant d'oublier, j'aimerais vous parler de deux punitions "légères" qui étaient pratiqués au C.I.T 160. L'une consistait à calculer la surface de l'emplacement situé devant le service de semaine (entre 100 et 200 m2) à l'aide d'une allumette. L'autre était toute aussi réjouissante. Il s'agissait de compter le nombre de palmiers dans l'allée principale ! Très difficile à faire, car en avançant, à un moment ou un autre on ne savait plus si l'arbre à notre niveau, avait ou pas été compté... (voir photo CIT ci dessus)

    Après quatre mois de classe à Beni-Messous, avec en poche un diplôme de dactylo, me voilà transféré à la Caserne Gueydon du 27ème Train (créé en 1920, dissout en 1962) où je ferais la connaissance de François Gaya, de la rue Léon Roches. Avec François j'ai surtout souvenance d'une bonne biture le tout premier jour des barricades, le dimanche 24 Janvier 1960 (9), alors que nous étions consignés à la caserne et que nous avions appris ce qui se passait en ville.
    Mon travail ce jour là fut de distribuer des lits picots et des matelas de crin bourrés de punaises, aux soldats qui arrivaient en renfort pour le maintien de l'ordre à Alger. Fortement imbibé de mauvaise vinasse au bromure et de bières je me suis souviens m'être endormi sur une pile de matelas (propres et sans punaises ceux-là, car réservés aux gradés).Il m'était impossible de sortir, surtout que je me doutais que mon père qui faisait partie des U.T. devait s'y trouver. Je su par la suite qu'il s'y trouvait bien, accompagné de son copain Ronda.

    Durant mon stage de dactylo (au 2ème rang à gauche)


                                       
    Caserne Gueydon, rue du Gal Margueritte   Les Unités Territoriales - Editions Sides

     

    A cette époque le Hula-Hoop commençait ses ravages et je me souviens l'avoir essayé dans la cour de la caserne. Du Hula-Hoop au scoubidou il n'y a qu'un pas... Saviez-vous que Sacha Distel aurait écrit sa fameuse chanson "Scoubidou" (des pommes, des poires...), dans l'avion qui l'emmenait à  Alger en 1958, où il devait se produire au Casino Municipal, je crois. Quoi qu'il en soit c'est lui qui va contribuer à rendre célèbres ces petits bouts de fils plastiques tréssés en ce début des années 60.

    Après ce petit détour, je reprends le cours de mon récit.
    Donc ce matin, veille de mon anniversaire, réveil de bonne heure. Mon père depuis longtemps est parti à l'usine, je vis avec lui et ma nounou Lucie (une patos), qui a remplacée Zaïa (qui vient de nous abandonner pour aller se marier à Orléansville, avec un marchand de légumes ambulant rencontré à la Madrague, alors que nous étions en vacances, avec mon copain d'enfance José Corsaletti).

    Salut mon pote de prime jeunesse et de vélo !

    La Madrague,août 1950 - José et Alain, 1er set La Madrague,août 1950 - Alain et José, 2ème set



    Alain et José

     


    Mes parents viennent de divorcer. Maman vit désormais au centre-ville (Chemin Marcel Pallat) et travaille à la Papeterie Relin, rue d'Isly. A 8 heures du matin, je suis fin prêt. J'ai mis mes habits du dimanche, pourvu qu’il ne "tombe" pas de l’eau, et oui pour nous il ne pleuvait pas, il tombait de l’eau. Pour moi c'est jour de fête, j'ai fait ma raie sur le côté, gauche, après m'être fait une friction au Pétrole Hahn (voir l'excellent livre de mon ami Daniel Bordet, «Des cheveux et des hommes»).

    Je m'applique à sculpter mon cran, avec un peu de gomina (10), j'en connais qui mettaient de l'huile d'olive, mais ne vous inquiétez pas, je tairais les noms. D'autres utilisaient de la Brillantine Pento. J'ai mis du sent-bon Volzo (11), (plus tard ce sera de l'Eau de Cologne Jean Marie Farina, la même qu'utilisait mon paternel). Me voilà prêt. 

     

    Une caresse à mon chien Kaki, et hop, je dévale les quatre étages, en partie sur la rampe, l'ascenseur étant occupé par la maman de Riri. Au premier étage, je croise ma mamie Antoinette, un foulard sur la tête, un chiffon dans une main, dans l'autre un plumeau. Elle astique, elle époussette, c'est sa vie. Son rituel est toujours le même. Elle commence par la porte d'entrée, la poignée en laiton qu'elle fait briller au Miror,  et continue par tout l'appartement et cela tous les jours selon le même rituel. Une tornade qui nettoie tout du sol au plafond. Comme chaque jour je lui fais un bisou, et apprenant ce que je veux faire, elle me glisse un petit billet de 5 francs. Merci mamie et à ce soir.

    Mon grand-père Marius, quant à lui, est parti  livrer ses chaussures à travers Alger. Dans le hall d'entrée de l'immeuble, où plus tard je rangerai derrière l'ascenseur, d'abord mon Vespa et ensuite mon Rumi(12),(Ah que de bons souvenirs avec ces engins! Voir ma rubrique «Souvenirs»), je croise les copains de l'immeuble, Riri, Didinne, et Sid-Hamed son cousin, peut-être même que M'Hamed qui était tout petit, était là aussi. Ces quatre loustics étaient les voisins immédiats de mes grands-parents, Julie, dite Antoinette et Marius Marcelin. Didinne, M'Hamed et Sid-Hamed à gauche, Riri à droite (voir plan de mon immeuble). J'en profite pour vous saluer les gars et avoir une pensée pour Sid-Hamed qui est parti bien tôt.

    Mon chien Kaki, apprêté pour "aller faire les oursins" !


    Didinne... Ah là aussi, que de bons souvenirs (!) quand ma maman après avoir été papoter avec la tienne et  ta grande sœur, revenait plus tard, soit avec une soupière de chorba(13), soit avec un plateau de cornes de gazelles(14), cela surtout pendant la période de Ramadan. Délicieux, c'était délicieux et j'en garde encore aujourd'hui le goût et un souvenir ému. Il faut dire qu'à l'époque, les portes d'entrée n'étaient jamais fermées à clés et qu'il suffisait de tourner la poignée de laiton, après avoir frappé, pour pouvoir entrer. Heureux temps que celui-ci. 


    Bien sûr il y a aussi des souvenirs plus sombres. Je repense notamment aux alertes pendant la guerre lors des attaques allemandes, et aux descentes d'urgence à la cave. Ma mère qui se précipitait sur un cabas qu'elle devait conserver toujours à portée de mains, ainsi que sur un petit matelas pour moi et nous dégringolions les quatre étages. Qu'y avait-il dans ce cabas, les papiers, les bijoux, et l'argent... Mon grand-père ne nous suivait pas toujours et un jour alors qu'il se trouvait sur sa terrasse du 1er étage, il fût légèrement blessé à l'épaule par un tir de mitrailleuse allemande en provenance d'un avion en rase-motte. 
    Un autre petit souvenir au passage, mon grand-père fumait des cigarettes à l'Eucalyptus qu'il s'achetait en pharmacie. Je me souviens lui en avoir piqué. Il était également adepte du «Lithiné du Dr. Gustin», une boisson d'époque contre les rhumatismes.
    Celle-ci se présentait en boîte de 12 sachets à diluer chacun dans 1 litre de liquide. J'en ai bu, mais je n'en ai d'autre souvenir que le goût pétillant. 
    Sans nul rapport, je revois ces réchauds à alcool à brûler, pour de bonnes flambées les rares soirs de fraîcheur dans notre pays. Je me souviens aussi des Therm's X, ces petits appareils de chauffage, sans flammes et aussi qu'à la maison nous avions deux cheminées qui n'ont jamais été mises en marche. Je vous avais prévenu, il suffit que j'écrive pour que les souvenirs arrivent ainsi en vrac et j'en profite pour les coucher sur le papier, avant de les oublier. 
     

    Toutes ces petites choses qui faisaient notre quotidien me reviennent éparpillées...Vous souvenez-vous des inhalations, quand nous avions de gros rhumes et des ventouses qui allaient bien souvent avec? (voir la rubrique « Remèdes », en préparation).

     Des moustiquaires, des bouteilles emmaillotées d'une serpillière (neuve) bien mouillée pour conserver le contenu au frais, les glacières et leurs pains de glace et puis de la fougasse, du pain mahonnais ou azyme. 
    Je vous l'ai dit j'écris dans un désordre total, au gré de mes souvenirs... mais je suis certain que toutes ces évocations auront su faire naitre en vous des images, des sensations, des émotions du passé. Douces réminiscences de l'enfance.Tiens je revois aussi la motte de beurre mise au frais le soir dans un ravier rempli d’eau et que l'on posait sur le rebord de la fenêtre de la cuisine. 

    Mon père au Rowing-Club, 1939

     

    Je me souviens également du garde-manger, petite cage grillagée, qui abritait les aliments contre les mouches. Les mouches... tiens il y avait des mouches à Alger...cela doit vous rappeler ces étals de boucherie à même le sol sur certains marchés de campagne, beurk, beurk, beurk....   

                  
    Fougasse Pain Mahonnais Pain Azyme

     

    Depuis l'an dernier j'ai donc de nouveaux copains venant d'horizons différents, de la Bassetta, de la Consolation, de l'avenue de la Bouzaréa, de la Place Wuillermoz, de la rue Léon Roches et aussi d'autres quartiers...

    Phare de Cap CaxinePhare de Cap Matifou

    Notre bonne et douce Ville d'Alger la Blanche, protégée par les phares "du Cap-Caxine" et du "Cap Matifou", est calme, il y fait bon vivre. Insouciant, heureux, je passe une jeunesse presque normale malgré le divorce de mes parents. Je vais à l'école, parce qu'il le faut...
    A vrai dire, la plage, le sport et les petites cailles m'intéressent beaucoup, beaucoup plus...
    Je ne le sais pas encore mais dans deux ans, le 1er Novembre 1954 tout sera différent. Cela nous ne nous en doutions pas (mais le gouvernement, oui). Nous serons submergé par l'absurdité humaine avec son déferlement de violence. Un déferlement qui se poursuivra jusqu'à notre départ définitif en Juin 1962.

    A propos de la guerre, j'aimerais ajouter ceci : On me souffle que la guerre dura du 1er novembre 1954 au 3 juillet 1962 (reconnaissance d'indépendance par de Gaulle), soit exactement 2798 jours. (A signaler que l'Algérie fête son indépendance le 5 juillet.)... Une preuve de plus que cette date du 19 mars 1962, ne peut representer la fin de la guerre et être fêté comme telle en Algérie. Pas plus qu'elle ne peut pas être commémorée en France par certaines associations et par le Président et le gouvernement actuels. Quelle honte en 2013 !!! Il est bon de rappeler qu'il y eu plus de morts entre le 19 mars et le 5 juillet 1962 (se souvenir des massacres et des enlèvements d'Oran du 5 juillet 1962 peut-être 3.000 personnes, des quelques 500 militaires disparus, et du massacre de 150.000 Harkis ), que pendant tout le reste de la guerre.
    Pour nous le choix était facile. C'était "La valise ou le cercueil". Malheureusement certains n'ont pas eu le temps de choisir et ont laissés leurs vies "Là-bas". Enlevés, soumis aux pires sévices par leurs tortionnaires, vidés de leur sang, violés, torturés, éventrés, ébouillantés, emasculés, pendus à des crocs de bouchers... La barbarie était de retour. Certains connurent l'esclavage, d'autres (aussi bien hommes que femmes) se retrouvèrent enfermés dans des maisons closes... Merci à la France et à son armée qui est restée l'arme aux pieds, laissant sans broncher se dérouler de tels carnages.

    Pour moi le départ ce fut le 24 Juin, sur le Kairouan, en compagnie de deux copains de Bab-El-Oued, Nono Spinoza et Henri Ruiz.

     

    Après s'être perdu de vue, je les retrouverais tous les deux. Nono, employé dans la même société que moi et Henri, par un hasard total, dans les rues d'une banlieue Parisienne, chauffeur de taxi. Le monde est petit tout de même! Je retrouverais également "Kiki" Sultan (qui sera même plus tard témoin  à mon mariage) et nous cohabiterons à Paris (15°) ainsi qu'avec Marco Bertini, jusqu'en 1965.

    Jetés hors de notre pays natal, notre "LA-BAS" tant aimé, trop aimé diront certains, nous atterrirons pour la plupart d'entre nous dans cette Métropole, notre patrie aux trois couleurs que nous étions si fiers de défendre, à qui nous nous identifions et qui nous a si mal reçu et même rejeté bien souvent. (Merci entre autres à M. Gaston Defferre, Maire Socialiste de Marseille. Celui-là même qui disait entre autres gentillesses du même genre, "Que les Pieds-Noirs aillent se faire pendre !"… Il est à remarquer que d'autres également nous ont aussi mal accueillis).
    Merci à cette France que nos arrières grands-parents, grands-parents et parents sont venus défendre lors de la guerre de 1870 puis de celles de 14-18 et 39-45. Nous avons nous aussi défendus la France (nos 3 départements) de 1954 à 1962, puisque en l’occurrence l'Algérie c'était la France, on nous la assez répété.
       
    Mais malgré tous ces problèmes, et tous ces tracas, je pense et j’espère que la plupart d'entre nous, ont réussi à rattraper ce handicap en moins d'une génération. Je ne crois pas qu'il en soit de même "Là-bas", alors que nous leur avons tout offert sur un plateau d'argent. A voir l'état dans lequel se trouvent certains immeubles d'Alger (dont celui que j’habitais), je me pose la question... et après tout je m’en fous complètement.


    1952. C'était le premier jeudi du mois d'octobre. C'était la veille de mes 14 ans. Il faisait beau. J'avais décidé de faire une ballade dans les rues d'Alger.

    Vue sur Bab-El-Oued


    C'était il y a plus de 60 ans et je n'oublie rien. Je garde encore en moi les images, les couleurs, les odeurs, les bruits, les accents si familiers des gens de chez nous. J'espère pouvoir conserver ces images jusqu'à la fin de ma vie, si Dieu le veut, Inch'allah, sans qu'elles soient altérées par celles de l’après 1962. J'ai dit à l'époque et je m'y tiens, que jamais je ne retournerais "Là-bas".
    Et là sans créer de polémiques, j'ouvre une parenthèse pour dire que je ne comprends pas ceux qui y retournent et qui s’extasient devant et parfois même lorsqu'ils y sont invités, à l’intérieur de ce qui fut autrefois leur maison. Je ne comprends pas ceux (vu à la télé) qui retrouvent, fascinés, leur carrelage, leur miroir, leurs meubles, leur lustre qui pendouille lamentablement et tous ces objets qui leur appartenaient et qui leur ont été volés. Je ne comprends pas ceux qui ensuite viennent raconter devant les caméras leur "découverte" en pleurnichant. Et là, je m'adresse à eux. Dans ces moments, pensez-vous à ceux qui ont laissé leur vie là-bas, pensez-voux à ceux qui ont tout perdu, Pensez-vous à ceux qui encore vivants pleurent encore et toujours leurs disparus, tout particulièrement ceux d’Oran !
    Non, je ne crois pas que cela soit possible, la plaie est là encore bien trop béante. Pardon pour ce petit coup de sang. Je  referme la parenthèse.

     A suivre

    Renvois 1 à 14 :

    -  (1) Lelièvre - Capitaine Hilaire Lelièvre né à Malesherbes (45) 1800-1851. Avec 123 hommes (surnommés "les lapins"), il s'illustra à Mazagran prés de Mostaganem, en défendant sa position face à 10 000 hommes, du 3 au 6 Février 1840. Les soldats pour se donner du courage buvaient du café et de l'eau de vie, dans un verre à pieds. De retour chez eux ils nommèrent ce récipient "Mazagran". (Je prépare un truc sur le Capitaine Lelièvre.)

    -  (2) Cardinal Verdier - Cardinal Jean Verdier né à Lacroix-Barrez (Aveyron) 1864-1940 à Paris, inhumé à Notre Dame de Paris. Archevêque de Paris, puis Cardinal. (Voir rubrique le 60.)

    -  (3) Lavigerie - Cardinal Charles, Martial, Allemand, Lavigerie né à Bayonne 1825-1892 à Alger. Archevêque d'Alger en 1867. Il fonde les Pères Blancs. Nommé Cardinal en 1882 par le pape Léon XIII. Primat d'Afrique.

    -  (4) Camille Douls - Né dans l'Aveyron 1864-1889. Explorateur.

    -  (5)Mancaoras ou taper cao - Manquer l'école, faire l'école buissonnière.

    -  (6) Panchas - Panchas et bombes. Façons de plonger. Panchas, sur le ventre. Bombes, en se jetant n' importe comment, en l'air en se tenant les genoux au niveau du menton.

    -  (7) Raymond Tortora - Journaliste Radio et Télé. (193 - 2005)

    -  (8) Robert Castel - Robert Castel et Lucette Sahuquet. Couple d’humoristes. Acteurs dans la très fameuse " Famille Hernandez ", avec Marthe Villalonga, Clément Bairam et Anne Berger. Robert est l'auteur d’Inoubliable Algérie, de Kaouito, de Je pose 75, mais je retiens tout.

    -  (9) Barricades d'Alger le 24 Janvier 1960 - Les Barricades d'Alger. Du 24 au 31Janvier 1960. Suite à une manifestation de soutien au Général Massu.

    - (10) Gomina - Produit cosmétique qui s'applique sur les cheveux et qui leur donne un aspect brillant. Certains préféraient "L'huile d'olives".

    - (11) Volzo - Eau de Cologne. Le nom provient de l’association de deux syllabes, provenant du nom des associés, à savoir " ReVOL et Di-CrescenZO. (Revol                jouait à l’ASSE, avec Robert Falzon Louis Landi et Paulo Panissa entre autres)

    - (12) Rumi - Vespa et Rumi .Les Scooters les plus répandus à Alger. Tous les deux de fabrication italienne.

    - (13) Chorba - Soupe à base de mouton.

    - (14) Cornes de gazelles - Pâtisserie Orientale à base d'amandes et recouverte de sucre glace.

     

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