~ Ce personnage héroïque dont les aventures nous furent contées par le maréchal Bugeaud, le maréchal Vallée ainsi que par Abd-El-Kader reste cependant totalement occulté par nos historiens ~
Ceci est un récit véridique. Ce héros nous conte cette aventure extraordinaire dans ses mémoires. Certains d'entre vous, connaissent peut-être déjà son histoire, pour les autres, allez jusqu'au bout. Vous serez surpris.
Le père de notre héros, illustre oublié de l'Histoire de France, possèdait des terres dans le Sahel et la Mitidja. En 1832 ce jeune homme alors agé de 23 ans décide de l'y rejoindre. Né à Grenoble le 27 Septembre 1809 ce beau garçon, cavalier intrépide, le gousset toujours garni de Louis d'or, avait déjà découvert l'Italie, la Corse, la Sardaigne...
Son cheval Kaddour, pur-sang de robe noire lui servait à parcourir l'ex Régence d'Alger, tombée aux mains des Français depuis le cinq Juillet 1830.
Le fringant jeune homme, Lioune Rouche comme l'appelait les Arabes, fit un jour la connaissance de la veuve d'un ancien ministre de la Marine du Dey, Leilah Néfissah. Cette femme cultivée, parlant couramment le français aimait à s'entretenir avec le jeune Lioune. Assez âgée, elle le recevait à visage découvert dans sa demeure. Sa nièce Khadidja, alors âgée de quinze ans, leur apportait du café maure sur des plateaux en argent tandis qu'ils discutaient. Fille d'une princesse géorgienne, cette adolescente était fort belle. Frêle, blonde aux yeux bleus, la chair nacrée, elle bouleversa toutes les notions de l'hôte sur la beauté musulmane. Corsage vert sans manches, culotte bouffante cramoisie, pieds nus dans ses babouches, voilà ce à quoi se résumait son vêtement. La jeune fille était en revanche recouverte d'une multitude de bijoux : pendants d'oreille, bracelets et colliers par douzaines, anneaux de chevilles, ceinture d'or... Tout cela cliquetait à chacun de ses mouvements. Lioune fut instantanément ébloui par tant de beauté et tomba fou amoureux de cette belle qui lui jetait des regards furtifs et éloquents. L'amour était réciproque. Mais bien vite Khadidja fut éloignée.
Lioune, quant à lui, fut envoyé, par son père, en mission à Constantine durant tout un mois.
A son retour, le roumi¹ ne retrouva pas sa belle. Elle avait été, entre-temps, mariée à un vieux cheikh, Si Mokhtar El-Habib Abou Mohamed, tout aussi laid qu'il était riche.
Très vite Lioune Rouche fut nommé Lieutenant au sein de la garde nationale crée par le Gouverneur Général le duc de Rovigo. Mais le jeune homme ne se résignait toujours pas à l'idée de ne plus revoir Khadidja et tentait par tous les moyens de l'apercevoir ou de l'aborder. En vain.
Il se mit alors à étudier l'arabe, se laissa pousser la barbe et sa peau se brunit au soleil. Peu à peu Lioune se mut en un véritable arabe. Il lit le Coran, se le fit expliquer.
Il n'abjura pas, ne devînt pas un fils du Prophète, mais il ne démentit ni n'approuva, il laissa croire...
Quatre années ont passées, nous sommes en 1836. Le général Desmichels a signé un traité humiliant avec un agitateur, l’Émir Abd-El-Kader. Lioune, quant à lui, a été nommé interprète des Armées d'Afrique par le Général Clauzel, tout nouveau Gouverneur Général. Il n'a toujours pas renoncé à revoir Khadidja et finit par apprendre qu'elle résidait à Aïn-Mahdi.
Le général Clauzel va lui accorder un congé illimité.
Lioune rejoint la Smalah d'Abd-El-Kader, qui vient de planter sa tente à Aïn-Chellalah, tout près d’Aïn-Madhi, où il est accueilli comme un converti. Lioune Rouche se fait appeler désormais"Si Omar ben Rouche"...
Le 16 décembre 1837 Lioune obtient enfin sa première entrevue avec l'Emir Abd-El-Kader. D'emblée il est surpris et conquis par l'allure fière et le charme inexprimable de l’Émir. Son visage est singulièrement séduisant. De grands yeux couleur bleus, bordés de longs cils noirs brillants, un teint d'une blancheur de marbre tandis que le front est large et élevé. Le nez est fin, aquilin, les lèvres minces. L'homme porte élégamment une barbe noire ainsi qu'un petit tatouage entre les deux sourcils. Sa main est maigre et petite, les doigts sont longs, les ongles parfaitement taillés. Tout dans son allure dénote à la fois une réserve pleine de dignité, une intelligence remarquable et une grande fermeté de caractère.
Abd-El-Kader admet aussitôt son invité parmi ses familiers. Insensiblement Lioune amène l’émir à s'intéresser à la civilisation occidentale, en lui contant les exploits de Bayard, Turenne, Napoléon...
L’émir va lui offrir en remerciement un de ses plus beaux chevaux, Salem.
"Omar ben Rouche", notre Lioune Rouche, continue à étudier l'Islam avec passion et devient bientôt le secrétaire intime de l’Émir. Cependant le souvenir de la belle Khadidja ne le quitte toujours pas. Il enquête sur Si Mokhtar, son époux et apprend que celui-ci se trouve bien à Aïn-Madhi mais également que le vieil homme est un farouche rebelle d'Abd-El-Kader.
Le siège d'Aïn-Mahdi est décidé. Dix fois Omar ben Rouche risqua sa vie durant les combats. Le Marabout Tedjani qui commande la ville finit par demander l'aman² qui est accepté. Dès son entrée dans Aïn-Mahdi, notre héros s'enquière de Khadidja. On lui apprends très vite hélas que la jeune femme est morte dans la nuit et que son époux, Si Mokhtar, s'est enfui ce qui le désigne comme le responsable...
Plus tard Abd-El-Kader voudra désavouer le traité de la Tafna. Lioune Rouche comprit alors rapidement que la guerre était imminente. L’émir lui demandait de porter les armes contre ses frères les infidèles, ce à quoi Lioune se refusa.
- Oublies-tu Omar, que le jour où tu as embrassé l'Islam, tu as rompu les derniers liens qui t'attachaient aux roumis?
- Eh bien non ! Je ne suis pas musulman ! Je n'ai jamais abjuré ! Mais je ne t'ai pas trahi et je t'ai servi loyalement.
- Va-t'en ! Je laisse à Dieu la punition de ton âme. Tu as deux jours d'avance.
Lioune Rouche partit et arriva sain et sauf aux avant-postes français... Lioune Rouche ou plus exactement Léon Roches puisqu'il s'agit de lui, eut beaucoup d'aventures au cours de ses quatre-vingt-onze ans d'existence. Entre autres, il fut nommé interprète général par Bugeaud. En 1844 il participa à la campagne d'Afrique et prit part à la bataille d'Isly. Quand Bugeaud mourut, le dix juin 1849, Roches abandonna l'armée, et fut nommé Consul général à Tanger. En 1866, il fut nommé ministre de France au Japon. Il ne revint en France qu'en 1869. Il mourut à Nice le 26 juin 1901 à l'âge de 91 ans.
Jusqu'à sa mort, la tombe de Khadidja fut sauvée de la ruine et de l'oubli.
(Texte librement inspiré de celui de Pierre Mariel dans "Historia")
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