• - K comme kémia

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    "K comme Kémia"
    par Gérard Stagliano

    Les Français appellent cela des « Amuse-Gueules » joli nom au demeurant, mais nous ­— qui les aimions quand même beaucoup — n’en déplaise à certains, avions adopté le mot arabe de kémia, indispensable agrément de l’anisette de chez Limiñana ou Gras mais il y en avait bien d’autres. De même, dans ce rayon-là, on appelait les Lupins des Tramousses de leur nom arabe encore et toujours.

    La kémia conditionnait bien souvent le choix du bistrot où nous allions boire l’anisette en question. Et là hélas, j’ai un léger trou de mémoire, car nous allions au-dessus du marché de Bab-El-Oued dans une célèbre brasserie où elle était abondante et variée, un véritable régal. Était-ce la brasserie de Barcelone ?

    Quand nous ne poussions pas un peu plus loin soit au Palladium à Baïnem à une seule petite encablure des Bains-Romains, soit au Champ-de-Manœuvre, sous les arcades de la rue de Lyon, je crois mais mes neurones me trahissent gaiement aujourd’hui, à la brasserie des Pyramides qui offrait bien davantage de choix encore.

    Mais restons sérieux et toute honte bue pour nous, Algérois grand teint et fiers de l’être, il n’y avait rien de comparable avec la rue d’Arzew, la rue principale de nos ennemis (sportifs s’entend) d’Oran.

    Là, dans n’importe lequel de ces bistrots qui se faisaient une concurrence acharnée, les petites assiettes étaient alignées les unes contres les autres d’un bout à l’autre des comptoirs, et offraient de tout, et elles étaient remplies aussitôt vidées par notre gloutonnerie.

    Moi, qui ai eu la chance de faire mes classes d’officier de réserve dans la bonne caserne d’Eckhmül, près des Arènes oranaises, au plus haut de la ville sous le Murdjadjo, je disais à mes copains « patos », entendre métropolitains : « Allez, ce soir, on va dîner en ville, c’est un ordre ». Et eux de s’écrier en chœur : « Mais on n’a pas d’argent ! ». Ma réponse lapidaire « Et alors, on s’en fout ».

    On allait faire la revue des « églises » (c’est de l’humour) de la rue d’Arzew, consciencieusement en passant d’un bistrot à l’autre, sans doute pour faire jouer la concurrence à plein. Et chacun de payer sa tournée qui n’était d’ailleurs pas une ruine à l’époque.

    Petits rougets fris et chauds, seiches au noir et au piquant, grosses fèves, séchées, bouillies et saupoudrées de kemoun, (cumin), moules marinières, bliblis, cacahuètes grillées et salées, poulpes en salade, frites de toutes les formes, tramousses, langanisses grillées, il y avait de tout et plus encore. On en revenait légèrement paf et la bouche en feu à cause des piments, et le ventre bien rempli. Les copains en question n’en revenaient pas, et les autres soirs, il fallait les réfréner sans cela c’est tous les jours que le Bon Dieu faisait, et Dieu sait s’il en faisait le bougre, qu’il aurait fallu se bourrer la gueule. Le plus dur en arrivant était de bien viser l’entrée de la caserne du 2e Tirailleur, où la garde veillait, et de marcher d’un pas lent en respectant la trajectoire le plus rectiligne possible et ce n’était pas facile du tout.

    Oui, je vous le dis bien haut, qui n’a pas connu la kémia d’Oran, n’a rien connu et cela au risque de me répéter au grand dam de ma nature d’Algérois et toute honte bue… avec l’anisette.

     

    Gérard STAGLIANO

    gerard-stagliano@orange.fr

     


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